La Belgique se dote d’une loi contraignante pour lutter contre la pauvreté
Ce n’est pas tous les jours qu’on prend la plume pour se réjouir lorsqu’on œuvre à lutter contre les causes structurelles de la pauvreté. Ce 5 octobre 2023 en est un que BAPN et ses membres, le Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté, Netwerk tegen Armoede, Brussels Platform Armoede et le Forum-Bruxelles contre les Inégalités, marqueront en grand dans le calendrier. Après avoir été validé en commission des Affaires sociales le 19 octobre dernier, le projet de loi qui obligera tout futur gouvernement fédéral à mettre en place un plan de
lutte contre la pauvreté a été voté par le parlement.
𝗖'𝗲𝘀𝘁 𝘂𝗻𝗲 très 𝗯𝗼𝗻𝗻𝗲 𝗻𝗼𝘂𝘃𝗲𝗹𝗹𝗲 ! Cette loi, portée depuis plusieurs mois par la ministre en charge de la lutte contre la pauvreté Karine Lalieux, obligera les futurs gouvernements fédéraux à créer un plan transversal à toutes les matières qu'ils gèrent endéans les 12 mois suivant leur installation. Quels que soient les partis au pouvoir, chaque législature verra désormais la création d’une feuille de route fédérale consignant des objectifs chiffrés et mesurables et des mesures ciblées dont chaque ministre et secrétaire d’État devra endosser la responsabilité pour ses compétences.
Lutter contre la pauvreté avec les premiers concernés
Autre raison de se réjouir : la loi votée aujourd’hui par la Chambre consacre la dimension participative que devront revêtir les prochaines politiques de réduction des inégalités pour lutter contre la pauvreté. Dans un article taillé sur mesure, le texte prévoit que « des actions ciblées doivent être menées dans les différents domaines et niveaux politiques sur la base d’un partenariat entre tous les acteurs concernés, notamment les personnes en situation de pauvreté ». BAPN, pour qui la participation des personnes confrontées à la pauvreté et la précarisation consƟtue la pierre angulaire de toute initiative, ne peut qu’applaudir cette approche. Une politique à la fois juste et efficace exige en effet que lorsque les décideurs – à quelque niveau que ce soit – entrent dans les premières phases d’une prise de décision ou de mesure, ils recherchent et s’adressent au groupe social concerné et entament un dialogue avec lui à ce sujet. Il s’agit là non seulement d’une garantie démocratique, mais également d’efficacité, puisqu’il a été démontré que la participation conduit à des solutions structurelles efficientes.
Témoignage de Noellie Denomerenge, facilitatrice en prévention des inégalités au Réseau wallon de lutte contre la pauvreté
« Je me suis beaucoup tue dans ma vie. Pendant longtemps, je pensais que je n’avais pas le droit de parler. A cause de mon petit diplôme, de ma couleur de peau, puis en tant que maman solo en situation précaire, on m’a jugée, cataloguée. On te colle une éƟqueƩe, au quotidien, on te confronte avec l’idée que tu ne vaut rien, que t’es un raté. En tant que maman solo, je n’avais pas droit à l’erreur, tout était passé au crible, j’était jugée en permanence. Dans les administrations qu’on fréquente, notre parole ne vaut pas grand-chose, on y va souvent pour se faire engueuler, rarement pour être écouté. Alors quand j’ai assisté à un week-end résidentiel avec le Réseau wallon et que j’ai entendu pour la première fois des gens partager leur vécu sans que l’animateur du
groupe n’intervienne pour les arrêter, leur demander de se taire, j’ai été bluffée. Il m’a fallu tout le week-end pour comprendre que j’avais le droit au respect, le droit à la parole, et donc le droit d’exister. C’était une véritable renaissance, en ce qui me concerne. »
« Quand on partage nos vécus en groupe, et que j’entends ce que les autres mettent en place pour survivre chaque jour, chaque heure, je me rends compte de la force qu’on a quand on vit en précarité, à l’opposé de l’image de faiblesse qu’on nous renvoie en permanence. Là où j’ai développé le plus d’outils, c’est quand je vivais dans la pauvreté. »
« Quand on rencontre les politiciens, ils ont la vraie personne devant eux, pas le chiffre ou les statistiques sur un papier. »
Un appel entendu, 30 ans après
Avec le Rapport général sur la pauvreté de 1996 issu du vécu de personnes en situation précaire regroupées en associations, un gouvernement fédéral reconnaissait pour la première fois l’expertise des personnes vivant dans la pauvreté sur base de leur expérience de la pauvreté. Dans son Manifeste en 7 points de bataille en vue des élections fédérales, BAPN avançait déjà qu’il était « grand temps […] d’ancrer au niveau fédéral l’expertise qui est
présente dans ce domaine dans le secteur associatif et la coopération qui s’est formée autour de celui-ci au niveau fédéral. » La participation devrait être un réflexe pour les décideurs politiques. Mais trop souvent, ce sont les groupes cibles concernés et leurs associations et réseaux qui doivent découvrir que les acteurs publics commencent à réfléchir à une initiative et proposer eux-mêmes un dialogue. Par ailleurs, la scène politique belge relève d’une grande complexité et technicité, elle est soumise à un rythme très soutenu, souvent inégal, presqu’impossible à suivre pour les personnes en situation de pauvreté qui doivent chaque jour déployer toute leur énergie et leurs ressources pour assurer leur survie. Sans le soutien des associations de terrain et des réseaux de lutte contre la pauvreté, la voix de ces premières et premiers concerné.es se serait depuis longtemps perdue dans le labyrinthe institutionnel. Si au niveau régional et communautaire, plusieurs initiatives avaient déjà été
prises par les différents gouvernements pour intégrer structurellement la participation des personnes en situation de pauvreté, une base juridique au niveau fédéral se faisait attendre depuis 30 ans. C’est désormais chose faite ! Combattre les inégalités et la pauvreté n’est pas un choix pour les gouvernements, c’est un devoir démocratique et sociétal.
Une sécurité juridique pour BAPN
Les regards se tournent désormais vers la Région wallonne, qui a pris un décret reconnaissant la participation à travers le RWLP mais sans base légale encore imposant cette même responsabilité à chaque gouvernement wallon. La Région de Bruxelles-Capitale est elle aussi encouragée à s’engage dans cette voie. Quant au niveau fédéral, si cette nouvelle loi constitue une étape importante, le travail n'est pas pour autant terminé. Le soutien
nécessaire à l'organisation structurelle du dialogue avec les personnes en situation de pauvreté doit encore être élaboré. Nous appelons donc le gouvernement fédéral à travailler sur cette étape cruciale pour une politique de lutte contre la pauvreté forte et juste, et ce dans les plus brefs délais !