Défis et espoirs pour le futur Plan fédéral de lutte contre la pauvreté
Ce fut une rencontre riche en échanges qui eut lieu entre le SPP Intégration sociale et un groupe d’experts du vécu de différents horizons. Le 13/11 dernier, à l’initiative de BAPN, les interlocuteurs se sont penchés ensemble sur les défis qui attendent le nouveau gouvernement fédéral en matière de lutte contre la pauvreté.
Cinquième Plan fédéral de lutte contre la pauvreté et les inégalités
Pendant que les partis négocient en coulisse la formation d’un gouvernement fédéral, BAPN a déjà entrepris de se pencher sur le futur plan de lutte contre la pauvreté qui attend le prochain ministre. En effet, une loi récente, adoptée le 9 octobre 2023, oblige tout nouveau gouvernement à adopter un tel plan dans les 12 mois après son installation.
En tant que « partenaire » (c’est le petit nom de BAPN dans la fameuse loi), nous avons désormais notre mot à dire sur le contenu de ce plan. Concrètement, cela signifie que BAPN doit être consulté au moment :
- de l’écriture du plan par le nouveau gouvernement fédéral (au début d’une nouvelle législature)
- et au moment de son évaluation (en fin de législature).
Concrètement, le rôle de BAPN est de représenter la voix des personnes en situation de pauvreté afin que leurs expériences et leur expertise soient prises en compte dans les différentes étapes du plan.
Dialogue avec les premier.e.s concerné.e.s
Pour BAPN, il est important que les personnes en situation de pauvreté ne soient pas seulement représentées par notre organisation, mais qu'il y ait l'espace nécessaire au sein du 5ème plan fédéral pour leur participation directe et leur implication. La rencontre du 13 novembre 2024 fut une première étape dans ce sens. Entre la délégation d’experts de vécus provenant de Wallonie, de Bruxelles et de Flandre, d’une part, et quelques acteurs-clés du SPP Intégration sociale chargé d’épauler le/la prochain.e ministre dans l’élaboration du plan, d’autre part, le dialogue a duré pas moins de 3 heures. Un temps mis à profit pour :
- partager les expériences de vécu en précarité par les experts et les mettre en perspective avec les causes structurelles des obstacles rencontrés ;
- construire une meilleure compréhension de la réalité de la vie en précarité, d’une part, et des cadres dans lesquels le SPP Intégration sociale inscrit son action, d’autre part ;
- cerner les urgences d’aujourd’hui et les défis de demain.
Qu’est-ce qui nous empêche de dormir ?
Les experts du vécu avaient, pour ce faire, préparé leurs interventions de manière à répartir équitablement la parole entre tous. A partir de la question « Qu’est-ce qui vous empêche de dormir la nuit ? », chacun a levé le voile sur un de ses cauchemars :
- le stress de démarches rendues plus complexes par le numérique et la disparition des guichets physiques ;
- l’angoisse de se trouver de nouveau à la rue, qui ne vous quitte pas malgré tout le chemin que vous avez accompli pour vous en sortir ;
- les obstacles à la solidarité dressés par le statut cohabitant : l’inquiétude de ne plus pouvoir payer son loyer et perdre son logement parce qu’on héberge un.e ami.e chez soi pour lui éviter de devoir dormir dehors et de vivre ce qu’on a vécu, cette main tendue signifiant de facto une diminution de vos allocations ;
- le chemin de croix pour avoir ou conserver une adresse de référence ; les difficultés que cela entraine quand on a enfin décroché un contrat ;
- travailler sans pouvoir sortir de la précarité, sans pouvoir trouver un logement digne ;
- devoir faire des choix impossibles : je chauffe ma maison, sachant que mes brûleurs au mazout empoisonnent mes petits-enfants, ou je laisse tout le monde dans le froid ? ;
- l’enfer de vivre sans papiers, sans droits et sans perspectives, alors qu’on a tant à offrir pour contribuer à la société ;
- la discrimination quand on n’a pas la bonne couleur de peau, le bon nom ou prénom aux consonances étrangères, le bon physique ; la discrimination face au handicap, à la façon de s’habiller, l’âge, les femmes, le peu/l’absence de diplôme ou les filières d’études dénigrées, l’orientation sexuelle, la situation familiale… ; la double peine de la pauvreté et la discrimination, par exemple dans la recherche d’un logement ; la peur et l’usure de devoir mener ces deux combats de front ;
- les effets du changement climatique qui touchent en premier plan les personnes en précarité ; les mesures écologiques qui impactent plus lourdement les petits budgets ; le fait qu’en tant que locataire social.e, on a peu de leviers pour améliorer l’empreinte écologique de son logement ou encore diminuer sa facture d’énergie ;
- le manque de considération pour la voix des personnes en situation de pauvreté, quand elles sont invitées à prendre la parole ; le manque de perspective quand l’urgence des personnes en précarité se heurte à la réalité politique ;
- le besoin urgent de coordination entre les différents niveaux de pouvoirs et les différents plans thématiques (pauvreté, climat, logement…).
La crainte de citoyens de première et de seconde zone
Au fil de l’échange s’est dessinée, en filigrane, la crainte de voir émerger une société dans laquelle non seulement les populations vulnérables rencontrent des difficultés d’accéder à leurs droits (phénomène de non-take up), mais également dans laquelle ceux qui ne rentrent pas exactement dans la bonne case sont purement et simplement exclus. BAPN s’inquiète de voir la société s’organiser autour de catégories d’habitants de première et de seconde zone, et qui condamnerait la seconde catégorie à (sur)vivre dans la marge. La participation des personnes en situation de pauvreté offre au contraire une chance de contrer cette tendance et, à travers le 5e Plan fédéral de lutte contre la pauvreté et les inégalités, de transformer le désespoir des premiers concernés en espoir et en nouvelles perspectives. Ou, comme l’a exprimé Jérôme, expert de vécu de Courtrai :
« C’est démotivant quand nos contributions ne sont pas valorisées. Ça ne suffit pas de nous demander notre avis une fois de temps à autre. Si on ne se sent pas écoutés, les gens finissent par abandonner et les politiciens manquent l'occasion de se nourrir d'expériences qui peuvent vraiment faire la différence pour une bonne politique de lutte contre la pauvreté. En fait, la présence d'experts de vécu dans les moments décisifs est tout à fait souhaitable, c’est notre avis. Alors, s'il vous plaît, donnez-nous la parole dans l'ensemble du processus politique, s'il vous plaît, donnez-nous de l'espoir, le désespoir, nous en avons déjà eu assez. »
D’ores et déjà merci aux collaborateurs du SPP Intégration sociale d’avoir écouté la parole des premiers concernés dans la préparation du 5e Plan fédéral de lutte contre la pauvreté et les inégalités. Merci pour l’engagement pris de les rencontrer régulièrement dans l’année à venir dans le cadre de ce nouveau plan.
Et bien sûr merci à notre délégation d’experts de vécu pour leur contribution essentielle pour la lutte contre la pauvreté !