'Parlez-nous, pas de nous': une lettre ouverte d'Apollinaire
En Belgique, on estime que 150 000 personnes vivent sans titre de séjour. En raison de leur statut, ils sont privés de nombreux droits fondamentaux (emploi, logement, etc.). Pourtant, peu de Belges sont conscients de leur situation. Apollinaire fait partie de ces personnes sans titre de séjour. Dans cette lettre ouverte, il nous invite à écouter son histoire et celle de nombreux autres avec un esprit ouvert. Il le fait dans le cadre de l'action #wearebelgiumtoo. L'action de la Coordination des Sans Papiers de Belgique et de Sans Papiers TV appelle à une régularisation basée sur des critères clairs et objectifs.
La lettre ouverte a également été publiée sur Knack.be, le 30/5/2021.
Parlez-nous, pas de nous
Je m'appelle Apollinaire.
Comme 150 000 autres habitants de la Belgique, je suis dans une situation de séjour précaire. Je suis ce qu'on appelle un résident irrégulier. Toute mon existence est réduite par la société à ce statut. Pour la loi, je n'existe pas. Par conséquent, je ne suis pas autorisé à travailler en Belgique, je n'ai pas droit à la protection sociale et je suis victime de l'exclusion sociale à bien d'autres égards.
Pourtant, je suis, comme les 150 000 autres personnes qui m'accompagnent, bien plus qu'un "sans papier". Nous sommes un groupe diversifié de personnes ayant des origines, des histoires de migration, des statuts de résidence, des ambitions et des perspectives d'avenir différents. Nous faisons partie de la société, à la vue de tous et en même temps complètement invisibles.
Dans cette pièce, je demande à chaque citoyen de nous regarder droit dans les yeux. Pas d'un point de vue politique de gauche ou de droite, mais en tant qu'êtres humains. Écoutez mon - notre - histoire et considérez notre appel avec un esprit ouvert.
Nous étions en mode survie bien avant la pandémie. En attendant l'issue de longues procédures, je n'ai toujours pas de perspectives après quinze ans en Belgique. Cependant, lorsque cela est possible, j'ai suivi des formations, par exemple en tant que peintre chez un carrossier. Au sein des collectifs pour sans-papiers, j'ai intégré divers engagements depuis des années. À mon tour, ne devrais-je pas m'attendre à une solidarité humaine?
Le virus n'a fait qu'amplifier la misère que nous traversons tous. Les maigres revenus du travail non déclaré, que les personnes dans ma situation sont obligés de faire, ont disparu. Nous étions abandonnés à nous-mêmes, de la bonne volonté des individus et de la société civile qui sont intervenus là où les gouvernements ont échoué. Ce que je vis est inexplicable. Je ne pourrais souhaiter ça, même à mon pire ennemi. Le mal interne, les douleurs invisibles sont très dures. Nul ne peut mesurer l’ampleur des dégâts.
On parle beaucoup de nous, mais presque jamais avec nous. Tous ont une langue, peu ont des oreilles. Il n'y aura aucune action du tout. Nous vous contactons, apprenons à nous connaître comme le premier pas vers une vie plus humaine pour tous sans papiers de résidence. Ne cesse jamais d’apprendre car la vie ne cesse jamais d’enseigner.
La vie n’est rien, mais rien ne vaut la vie. Donnez-nous la chance de vivre dans la dignité. Par conséquent, consultez la lettre conjointe, les demandes et la pétition de certains collectifs de personnes sans résidence légale sur www.wearebelgiumtoo.be. Vous y trouverez également mon témoignage vidéo. Si mon récit vous a ému, mais ne vous a pas encore convaincu, vous y trouverez également huit bonnes raisons de créer un cadre juridique clair dans lequel une régularisation sur la base de critères transparents et objectifs est possible pour la régularisation.
Apollinaire est depuis de nombreuses années un visiteur actif et un bénévole de l'asbl Pigment, une association bruxelloise qui travaille principalement avec des personnes sans séjour légal. Pigment et les 6 autres VWAWN de Bruxelles forment ensemble le réseau Brussels Platform Poverty (BPA). Le BPA et les 7 VWAWN soutiennent la campagne "We Are Belgium Too" et adhèrent à l'appel d'Apollinaire.