Les cœurs de pierre ne battent pas

Dans son édito du 4 mars 2025 Bram Van Renterghem fait des déclarations audacieuses sur – entre autres – le lien entre migration et pauvreté. Il affirme que si vous voulez que Bruxelles prospère à nouveau, vous n'avez pas d'autre choix que de transformer votre cœur en pierre. Il considère que « limiter l'afflux » de nouveaux arrivants en leur faisant attendre cinq ans pour obtenir un revenu d’intégration ou d'autres formes d'aide sociale est l'une des mesures « nécessaires » pour garantir la capacité d'accueil de Bruxelles. Il suppose commodément qu’il existe un lien direct et causal entre la paupérisation de Bruxelles et la migration, mais n’en fournit aucune preuve. Il suppose également vaguement que les mesures strictes de l'accord de coalition fédérale peuvent et vont augmenter la capacité de Bruxelles. Ces deux hypothèses nous semblent fondées principalement sur des intuitions et des hypothèses populaires. Nous aimerions aborder cela un peu plus en détail.
« La paupérisation de Bruxelles est liée à la migration. Si l'on veut agir contre la première, il faut également s'attaquer à la seconde. »
Van Renterghem qualifie cette affirmation de « vérité inconfortable ». Lorsqu’il parle de migration, il parle principalement des nouveaux arrivants, mais il n’entre pas dans les détails de ce qu’il entend exactement par migration. Selon lui, toutes les formes de migration contribuent-elles potentiellement à l’appauvrissement de Bruxelles ou seulement certaines sous-variantes ? Et si ces derniers sont les « migrants problématiques ».
On ne peut échapper au sentiment que Van Renterghem souffre d'une confusion entre les concepts conséquence, corrélation et coexistence. Oui, il existe un lien entre la pauvreté et la migration. Les personnes issues de l'immigration sont proportionnellement plus nombreuses que les Belges de souche à vivre dans la pauvreté. Toutefois, cela ne signifie pas que l’on puisse simplement dire que la migration en elle-même est à l’origine de la pauvreté. La pauvreté est une question complexe dans laquelle interagissent à la fois les caractéristiques individuelles et les formes structurelles d’inégalité sociale.
Il y a actuellement une crise majeure du logement dans notre pays. La vie devient de plus en plus chère. Les personnes à faible revenu en sont déjà victimes, mais si vous portez un nom étrange et/ou ne parlez pas encore bien la langue, un logement décent et abordable devient pratiquement inaccessible. L’offre qui reste – des bidonvilles sombres et souvent moisis aux mains de propriétaires de bidonvilles – se situe principalement dans les villes, Bruxelles en tête. Ici, la migration n’est pas la cause profonde de la misère dans laquelle se trouvent les gens, mais la pénurie et la discrimination sur le marché du logement.
Van Rentergehem évoque également « l’afflux de demandeurs d’asile » dont souffre Bruxelles. Nous pensons nous-mêmes que ce n'est pas tant le fait que des personnes demandent l'asile dans notre pays qui pose problème pour la capacité d'accueil de Bruxelles, mais plutôt l'échec de notre politique d'accueil qui dure depuis des années. Les personnes dans le besoin sont livrées à elles-mêmes dans les rues de Bruxelles, parfois pendant des mois. Là, ils rejoignent les rangs de la population sans abri, en constante augmentation, et contribuent ainsi, sans le vouloir, à l'envasement des structures d'accueil. Leur procédure d'asile est également retardée et leurs chances de réussir leur intégration dans la société sont réduites. La capacité de Bruxelles bénéficie bien plus d'une politique d'accueil efficace et humaine dans laquelle les demandeurs d'asile sont accueillis dans tout le pays pendant leur procédure - comme il se doit - que d'une restriction des droits de personnes déjà très vulnérables.
Bruxelles n'est pas une île. Les problèmes de notre capitale ne peuvent être considérés indépendamment du reste du pays. Nous avons déjà évoqué plus haut la crise nationale du logement qui pousse les personnes en situation précaire vers les bidonvilles et les squats des métropoles. Dans nos associations, nous entendons souvent des histoires de personnes sans abri qui sont « redirigées » vers Bruxelles par des prestataires locaux d'aide et de services en Flandre et en Wallonie, parce qu'il y a là-bas « plus d'options ». Si l’on veut discuter de la capacité de Bruxelles, il faut aussi oser évoquer le rôle des autres régions en la matière.
« Les nouvelles règles en matière de chômage et de migration sont dures, mais nécessaires pour Bruxelles »
Dans son article, Van Rentergem part du principe que les mesures proposées par le gouvernement de l'Arizona amélioreront la situation à Bruxelles. Il fait preuve de compréhension en s'opposant à cela, car il se rend compte que ces mesures aggraveront la situation concrète de nombreuses personnes, mais il considère cela comme un mal nécessaire. Dommage collatéral, désolé, mais on ne peut rien y faire.
Il défend la limitation du chômage dans le temps en affirmant que Bruxelles compte plus de chômeurs que Paris et Amsterdam et qu'il ne faut pas considérer le chômage comme une fatalité. Quant au taux de chômage, ces chiffres ne disent rien des causes du chômage ni de la situation de ceux qui travaillent. Les contextes internationaux sont souvent très difficiles à comparer, c’est pourquoi nous ne souhaitons pas approfondir ce sujet ici. Ce avec quoi nous sommes entièrement d’accord, c’est qu’un taux de chômage élevé à Bruxelles n’est ni une loi de la nature ni une fatalité. Toutefois, pousser les gens vers la pauvreté n’est pas une solution ; il faut s’attaquer aux causes sous-jacentes du chômage (au niveau individuel, mais aussi structurel).
En ce qui concerne les futures mesures fédérales concernant les nouveaux arrivants, Van Renterghem voit l'avantage de l'effet dissuasif potentiel qu'elles devraient avoir. On prive les gens qui sont déjà là de leurs droits pour limiter l'afflux, c'est l'idée. Il indique lui-même qu’il reste à voir si la dissuasion fonctionne. Cependant, les faits nous enseignent déjà qu’une approche dure envers les nouveaux arrivants n’a pas d’effet dissuasif significatif. Un parfait exemple en est la politique de non-accueil de 3 ans pour les demandeurs d’asile. Malgré cette « mesure » restrictive des droits, des personnes en fuite continuent d'entrer dans notre pays. Limiter l’afflux par de telles mesures est non seulement dégradant et constitue une violation du droit international, mais ignore également complètement la dynamique mondiale.
Non seulement ces « mesures strictes » ne limiteront pas simplement l’afflux de nouveaux arrivants, mais nous craignons qu’elles ne provoquent même des problèmes supplémentaires qui n’enfonceront Bruxelles encore plus profondément dans le marais.
Les futurs nouveaux arrivants devront attendre cinq ans avant d’avoir droit à un salaire décent ou à toute autre forme d’aide sociale. Cela prive les gens de la possibilité de se développer. Sans revenu de base, on ne peut pas s’attendre à ce que les gens puissent libérer l’espace mental et financier (et le temps littéral) pour se concentrer sur l’intégration et l’apprentissage de la langue ou pour acquérir des compétences professionnelles. En d’autres termes, vous créez la vulnérabilité que vous souhaitez corriger.
Une politique d’accueil défaillante (ou une politique de non-accueil consciente) réduit également les chances d’une intégration réussie pour ceux qui peuvent finalement obtenir un statut de séjour. Recherchemontre que ceux qui ont eu des problèmes d’accueil en attendant l’octroi de l’asile sont en moins bonne santé en tant que réfugiés reconnus, apprennent la langue moins vite et ont plus de difficultés à participer au marché du travail. Les projets de l’accord de coalition visant à réduire davantage le nombre de places d’accueil de qualité pour les demandeurs d’asile jettent un éclairage encore plus cynique à ce sujet.
Toutes ces mesures non seulement augmentent le risque de pauvreté en cas d'adversité, mais elles contraignent les gens à des « emplois de survie », souvent mal payés, en dessous de leurs capacités ou loin de leurs intérêts. Cela est préjudiciable aux individus eux-mêmes, à l’employeur et à la société.
Faire de la migration le cœur battant de la renaissance de Bruxelles
L’hypothèse sous-jacente selon laquelle la migration constitue une menace pour la capacité d’une société est particulièrement problématique dans cette édition. Cependant, l’inverse peut certainement aussi être vrai dans un contexte qui réclame des travailleurs. Les choix politiques sont ici déterminants. Cela a été démontré par exemple pour L'Espagne, qui a une politique migratoire différente. Cependant, il existe actuellement peu de points d’entrée légaux pour les citoyens non européens dans notre pays, en dehors des demandes d’asile.
Recherche scientifique et expériences sur le terrain apprenez-nous que les politiques migratoires actuelles produisent de la pauvreté. Appelez cela une « vérité qui dérange », mais de nouveaux enchevêtrements ne feront qu’accroître encore la pauvreté. Limiter « l'afflux » n'est pas la solution pour la capacité de Bruxelles, mais adapter la législation migratoire à la réalité sociale actuelle et offrir des opportunités aux nouveaux arrivants.